Judge Dredd ou l’histoire de ce qu’il se produit lorsque l’on pousse à plein le champ d’intervention de la “Technologie” dans la justice des Hommes

Sans la liberté de blâmer … Tech for good ou tech for evil ?

Bruno Jean

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Le sujet que nous discutons ici est le risque que la technologie représente vis-à-vis de notre liberté. Les principaux cas d’usage envisagés tournent surtout autour du traçage de notre vie par les caméras, l’IA, etc., Ceux-ci conduiraient finalement à couper nos marges de manœuvre vis-à-vis de ce à quoi les lois nous contraignent. Voir notamment le reportage — qui veut vous faire peur — sur les pratiques en cours en Chine avec des caméras qui repèrent et sanctionnent les malheureux qui traversent en dehors des clous. Autant le dire tout de suite ; je trouve que la chaîne joue sur le sensationnalisme, plutôt qu’un véritable attentat à la liberté.

Un peu de clarification d’abord :

de quelle liberté parle-t-on ? De la liberté de gambader tout nu dans des paysages vierges, tel le huron de Voltaire? De la liberté accordée par nos droits — et qui s’arrête là où commence celle des autres ? Ou enfin la liberté de s’affranchir des lois, c’est-à-dire de rouler à 150km/h tant qu’on est pas pris ou fumer un joint au nez et à la barbe de la maréchaussée ?

Gambader tout nu est devenu compliqué depuis que nous avons passé les 7.5mds de terriens : cette liberte-là est donc désormais plus ou moins sans objet.

La quantite de liberté autorisée par les Etats varie effectivement d’un pays à l’autre, de même que la conception de cette liberté et son acceptabilité.

Enfin, sur le 3e volet, la technologie a effectivement montré un potentiel à capturer froidement des milliers d’infraction, là où nous avions toujours été limité par la capacité à faire de nos congénères en chair et en os

La technologie n’est la mort de la liberté que si l’on la met au service d’une intention totalitaire

Bien sûr, le développement de la technologie donne sans cesse plus de potentialité à une monde dominé par la technologie, et une réduction continue des libertés ; contrôle systématique, intrusion dans la vie privée par des caméras situées à des km...

En 1958 déjà, Aldous Huxley écrivait “Brave new world” (roman d’anticipation où les Humains doivent courber le joug sous la tout puissance des machines), et confiait dans une interview son inquiétude que rien ne pourrait empêcher la mise à profit de la technologie à des fins restrictives

On peut alors amener plusieurs éléments de réassurance à ce sombre prospect :

Les lois qui nous régissent, écrites bien avant l’avènement de la caméras méga pixel et de la reconnaissance de visage, ont besoin d’un peu de temps pour s’adapter ; plutôt que des lois excessivement contraignantes, mais rarement appliquées, ne faut-il pas des lois plus spécifiques et conditionnelles ? ex. adapter la vitesse maximum sur autoroute à la météo, trafic, et ce portion par portion.

Il n’est pas impensable de brider la technologie (comme on faisait des “eunuques” dans les palais) ; on peut rendre les caméras de surveillance authentiquement myopes à certaines partie du visage ou du corps, et ainsi éviter des incursions incontrôlées dans nos vies privées en dehors de ce qui est nécessaire à la tâche en question.

La tolérance n’est pas le monopole de l’espèce humaine ; il est tout autant envisageable de coder en dur dans les machines une notion de laisser-filer. A nouveau tout repose sur le bienfondé ou l’absurdité des lois dans leur conception.

Ce point d’équilibre entre froideur technologique et empathie à l’égard des Hommes est un bon point de départ pour un débat citoyen sur l’utilisation de technologie à des fins de surveillance, de maintien de l’ordre, et d’organisation de la vie publique en générale

Les citoyens se doivent de rester vigilants vis-à-vis des moyens et de la portée de la technologie mise en œuvre par l’Etat. Pour autant à travers ce débat, Il ne faut pas se montrer naïf ou ignorant quant à la complexité de la tâche d’organiser des sociétés aussi peuplées que les nôtres. A ce titre, l’obéissance de chacun facilite évidemment grandement l’organisation de la vie publique — toujours à la condition que les lois soient bien pensées et calibrées.

La France est probablement un des pays où l’on rencontre la plus grande opposition de principe à ce contrôle, quand d’autres pays, acceptent plus facilement (certains disent “docilement”) l’autorité de l’Etat. On pense spontanément à la Chine, mais aussi la Russie (2 pays avec des figures dirigeantes fortes), mais aussi plus proche du modèle Français les Etats Unis, les pays scandinaves, la Suisse, etc. où il n’est pas tabou que les débordements et excès soient traqués sans état d’âme et sanctionnés

En guise de contexte, nous vivons en cette année 2020 un retour soudain et fracassant de l’interventionnisme de l’Etat dans la vie privée,

Avec des mesures des confinement, de couvre-feu, de fermeture des frontières, quatorzaine, etc. Cette rafale de décisions prises dans l’urgence et quasiment sans recul amène le double enjeu de l’obéissance civile d’une part, et du bien-fondé de ces mesures d’autre part.

L’obéissance civile est determinante pour l’efficacité du dispositif au global. Elle est elle-même sujette à des mouvements d’influence et de contagion (positive ou négative — en faveur ou en défaveur) : en clair à partir de quelle fraction de population portant un masque la majorité se sent obligée de le porter également ? Et dans l’autre sens ? Quelle fraction de dissidents pour faire sauter un décret ?

La qualité et l’explicabilite des arrêtés pris “autoritairement” sont alors critiques car elles conditionnent la quantité de rébellion à anticiper pour le faire respecter : une décision injuste et inefficace sera nécessairement beaucoup plus difficile à faire respecter qu’une bonne.

En Synthèse :

La liberté du Huron n’est plus à l’ordre du jour depuis que le monde est passé en croissance démographique exponentielle: 700M de terriens en 1750, 1,7 Mds en 1900, 6 Mds en 2000, déjà 7.5Mds en 2020 (!!)

La technologie progresse — et continuera de progresser — de plus en plus vite, et avec elle les potentialités d’intrusion, totalitarisme et autoritarisme. Freiner cette potentialité semble globalement assez illusoire.

Pour autant les machines ne sont pas encore douées de volonté propre : il reste donc dans nos moyens de les affubler de cécité sélective pour protéger un maximum de la vie privée des administrées (et avec lui le “droit inaliénable” de se curer le nez derrière sa fenêtre chez soi)

C’est bien la qualite intrinsèque des Hommes et des Etats qui est en jeu et qui déterminera la qualité de sortie du système global, après introduction croissante de technologie dans l’organisation de l’Etat

Les administrés se doivent précisément de rester vigilants quant aux moyens et à l’intention de technologie, sans céder à la paranoïa ni à la théorie du complot ; les pouvoirs publics n’ont en général pas d’intérêt à s’acharner sur leurs administrés. (Ce qui n’empêche pas les inévitables inefficiences, contradictions et angles morts de dispositifs mis au points par de simples mortels)

Avec la capacité décuplée de contrôler doit surtout venir une finesse décuplée de la loi elle-même ; un loi bien fondée, adaptative et tournée pour le bien être public doit pouvoir être mis en application sans arrière-pensée. Ou alors nous arrivons sur le terrain de la “liberté de nuire”, qui non seulement est un autre terrain, mais devient tout à fait impraticable avec l’explosion démographique du 20e et 21e siècle

Bref … je m’arrête là car trop de sous sujets et de debats à tiroir pour les mentionner tous. L’idée centrale étant que la technologie représente une potentialité de risque croissante - sans aucun doute. Pour autant il n’y a pas de raison que ne parvenions pas à la domestiquer (comme nous l’avons fait avec tout le reste)

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Bruno Jean

Former Consultant — Interested in Tech, Circular economy, Travel, Retail & Food